Jean Wiclef : une circonvolution politique Par Karl.H.Louis


La république d’Haïti est marquée en ce début du siècle par deux évènements majeurs : le séisme du 12 janvier 2010 qui a mis un frein à la transition économique conduisant la communauté internationale au chevet d’un pays dévasté ; l’annonce de la candidature du chanteur de hip hop Jean Wiclef à l’élection présidentielle de novembre 2010. Bien que la quasi concomitance de ces deux faits soulève la question de leurs interrelations, je me bornerais seulement à m’interroger sur deux questions : cette candidature est-elle conforme aux prescriptions constitutionnelles; est-elle opportune ?
La légalité de la candidature de Jean Wiclef

Un arrêt rendu par la cour de cassation en date du 11 octobre 2005 relatif à l’éligibilité de Monsieur Siméus à l’élection présidentielle m’avait donné l’occasion de répondre aux juristes haïtiens qui ne comprenaient pas que les magistrats cassent une décision qui avait été rendue par le CPE privant Monsieur Siméus : citoyen haïtien du droit de se présenter aux élections présidentielles. Ce que ces messieurs n’avaient pas saisi dans cette affaire, c’est que les magistrats n’ont jamais statué sur le fait qu’un binational pouvait être candidat aux postes électifs, ils ont simplement rappelé une règle de base à savoir qu’il n’était pas possible de déclarer un candidat inéligible sur la base d’allégations non caractérisées. 

C’est à la lumière de cette décision du 11 octobre 2005 que je voudrais situer le problème d’une éventuelle double nationalité de Jean Wiclef afin d’anticiper la question de la légalité de sa candidature. 

La preuve n’est elle pas la rançon du droit ?

En vertu de l’article 135 de la constitution haïtienne, pour être ‘’ élu président de la république d’Haïti, il faut être haïtien d’origine, et n’avoir jamais renoncé à sa nationalité’’. Jean Wiclef a t-il renoncé à sa nationalité ? Si oui, il appartient à ceux qui le pensent de le prouver. Il va sans dire qu’il est impossible pour les nationalistes hasardeux de prouver cette renonciation. En droit international privé, toute renonciation à un statut personnel doit être expresse, autrement dit, une renonciation attestée par un document écrit. Or, lors d’une naturalisation, peu de pays demandent la renonciation expresse à la nationalité d’origine. Selon mes connaissances, les Etats unis ne demandent pas lors de cette procédure que le naturalisé renonce par écrit à sa nationalité d’origine. Sur un plan juridique, les adversaires de Wiclef ne pourront pas prouver sa renonciation à sa nationalité haïtienne. La preuve est la rançon du droit.

Un deuxième argument juridique pourrait être opposé à Wiclef dans l’hypothèse il serait binational. C’est celui se fondant sur une double nationalité. Selon l’article 15 de la constitution ‘’ la double nationalité et étrangère n’est admise en aucun cas’’. Cet article considère une simple dynamique, soit on est haïtien soit on ne l’est pas, c’est la question de la reconnaissance en droit international privé. Si un haïtien renonce à sa nationalité, il n’est plus haïtien, mais si un haïtien obtient une autre nationalité sans renoncer à la première, alors la constitution haïtienne ne reconnaît pas la seconde. Il en résulte que si Wiclef jouit de la nationalité américaine, la constitution haïtienne ne reconnaît pas celle-ci, il est et reste haïtien.

J’aimerais rajouter un point fondamental. Ce que les juristes haïtiens politicards ne comprennent pas, c’est qu’il y a lien, une liaison logique entre les deux dispositions. L’annonce de la candidature de Wiclef va réveiller l’arrêt Siméus et je ne peux cacher mon bonheur tant la question Sur la double nationalité est surréaliste.

L’opportunité de cette candidature

Il y a quelques années lorsque je commençais à m’instruire sur l’histoire d’Haïti, je me demandais s’il n’y avait un lien de causalité entre les secousses telluriques politiques en Haïti et le monopole économique de la haute bourgeoisie en Haïti manipulée par l’étranger? Aujourd’hui, la question qui me vient à l’esprit à l’automne de la candidature de Wiclef est la question du lien entre celle--ci et le séisme du 12 janvier ?
Sans entrer dans un débat passionnel, je dirais simplement que compte tenu des difficultés socio-économiques de la société haïtienne, n’est-il pas contraire à toute logique de stratégie politique pour un chanteur de s’engager politiquement alors même que les taches sont titanesques et les responsabilités herculéennes. Je ne peux me résoudre à croire que Wiclef ne comprenne pas qu’il s’engage dans un grand combat sans bâtons, sans partis politiques, dans un pays ou le peuple attend un prophète.

Si Jean Wiclef était élu, ce ne serait pas une révolution mais une circonvolution politique. La route de l’histoire d’Haïti est pavée de bonnes âmes. Mais aucune de ces âmes n’étaient politiquement préparée aux missions de la gestion administrative et politique du pays, à l’exception de Gerard Latortue. Je n’ai strictement rien contre la candidature de Monsieur Jean Wiclef. Au contraire, je suis heureux qu’il profite de sa notoriété pour faire décaisser les milliards promis à Haïti. Je suis même prêt a l’aider pour sa campagne.

Mais, si j’étais un ami proche de Jean, je lui dirais Jean ‘’ne te présente pas pour le moment’’ Mais, comme je ne connais pas les dynamiques sous tendant sa candidature, je n’ai pas les clefs pour comprendre son désir de s’asseoir sur ce fauteuil tant désiré, d’être un président sans palais. Peut-être que les américains l’ont convaincu de construire un nouveau palais… que sais-je ? Ce qui est sur, c’est que sa candidature est une excellente nouvelle pour la diaspora qui a hâte de faire son retour au pays natal. Cette candidature si elle devait aller jusqu’au bout annonce la fin de l’influence culturelle française, la créolisation et l’anglicisation de la société haïtienne. Mais, ne nous n’avançons pas trop, l’histoire n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire… laissons au temps le temps…

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