Une endoscopie juridique de l'affaire Siméus : La question de la double nationalité Par K.H.L




Une fois n'est pas coutume, la Cour de cassation haïtienne a rendu un arrêt le 11 octobre 2005 ayant des retentissements internationaux. Pour cause, l'affaire portée devant elle concernait l'accès aux fonctions électives des haïtiens possédant une double nationalité. 


Curieux spectacle que celui des juristes haïtiens, insultant, blasphémant dans une précipitation étourdissante la décision des hauts magistrats. On eût cru l'ambiance du carnaval de Port au prince. En agissant de la sorte, il est évident, que ces juristes haitiens n'ont pas le temps de jauger les détails de la décision. Il est vrai que les circonstances de l'affaire ont pu laisser penser que la cour de cassation a torpillé la philosophie constitutionnelle sous tendant les règles relatives à la nationalité.


Le 15 septembre 2005, le sieur Dumarsais Mécène Siméus a fait une déclaration de candidature à la Présidence au Bureau électoral de l'Ouest I à Port-au-Prince. N'ayant pas retrouvé son nom sur la liste des candidats admis aux élections présidentielles publiée par le CEP, il a introduit une requête devant le Bureau électoral de l'ouest de Port-au-Prince tendant à insérer son nom sur la liste des candidats. 


Celui-ci s'est déclaré incompétent. Monsieur Siméus a donc interjeté appel auprès du Bureau du Contentieux Électoral Central. Ledit bureau a dans un premier temps infirmé la décision d'incompétence du BEC et dans un second temps a débouté ce dernier de sa demande aux motifs de fausses déclarations, ce conformément aux dispositions des articles 86, 123, du décret électoral, 15 et 135 de la Constitution de 1987.

Saisi d'un pourvoi, la Cour de cassation aux termes de cinq attendus a fait droit à la demande de Monsieur Siméus et cassé l'arrêt du Bureau du Contentieux Électoral Central. Le pourvoi en cassation estimait que les motifs qui ont présidé à la décision du BCEB sont erronés. Car, d’une part aucune inscription en faux n'a été faite contre ladite attestation de résidence et d’autre part, qu'aucun établissement de renonciation de la nationalité haïtienne n'a été produit par le BCEC , qu'en conséquence, les fausses déclarations sont des inventions du CEP ayant refusé d'agréer sa candidature.

Les hauts magistrats ont rappelé qu'«aucun acte de renonciation de sa nationalité haïtienne n'ayant été produit par le CEP », que la loi du 12 avril 2002 prévoit que tout haïtien d'origine jouissant d'une autre nationalité et ses descendants sauf dans les cas expressément interdits par la Constitution sont éligibles à la fonction publique, et que par suite, la décision du BCEB n'était pas motivée. La haute cour a décidé de casser ladite décision en enjoignant l'inscription du nom du requérant sur la liste des présidentiables.

L'arrêt retient une solution logique. En effet, certains juristes auraient souhaité que les hauts magistrats tranchent la question de l'éligibilité des binationaux aux fonctions électives tout en précisant la portée de l'article 15 de la constitution haïtienne. Or, telle n'était pas le problème posé par le recours. L'objet du recours était de faire dire à la cour si le BCEC pouvait à bon droit déclarer un candidat inéligible sur la base d'allégations non caractérisées. La cour a répondu par la négative. 

L'on doit donc se réjouir de la décision des hauts magistrats en vertu du principe de l'immutabilité du litige. En revanche, on regrette que les hauts magistrats, après avoir constaté un manque de base légale de la décision du BCEC n'aient pas tiré toutes les conséquences qui s'y attachent .

Le respect du principe de l'immutabilité du litige

Nombreux sont les commentateurs agitant l'article 15 de la constitution pour contester la décision des hauts magistrats. Or, force est de constater que ces derniers n'avaient nullement été invités par les parties à se prononcer sur la question de la double nationalité. Il eut été contraire au principe de l'immutabilité du litige de soulever d'office ce moyen, sauf à considérer qu'il s'agit là d'un moyen d'ordre public fondé sur l'article 15 du texte précité.

L'immutabilité du litige

L'immutabilité du litige signifie qu'à partir du moment une instance est engagée, ses éléments, son cadre, ne doivent pas être modifiés. Autrement dit, le lien d'instance qui fait naître entre les parties l'assignation et l'échange des conclusions doit demeurer inchangé. Le juge est par conséquent enfermé dans le cadre de l'instance tracé par les plaideurs. Ce qui revient à dire que les magistrats doivent se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé. Il ne peut statuer ni infra ni ultra petita (ni au-delà ni au deçà de ce que les parties ont demandé).

En l'espèce, que demandait Monsieur Siméus à la cour de cassation? Ce dernier souhaitait que la cour déclare les motifs de la décision du BCEC erronés car hypothétiques. En effet, la cour, en constatant, qu'aucun acte de renonciation de la nationalité haïtienne de Monsieur Siméus n'a été produit par le CEP, que les déclarations radiophoniques dont fait état la BCEC étaient erronées, a admis sur cette base que ladite décision n'était pas motivée. 

La cour a donc répondu à la question qui lui avait été posée. Par conséquent, la haute juridiction n'avait pas à répondre à d'autres questions relatives à l'existence d'une double nationalité sauf à statuer ultra petita. Certains avocats haïtiens ont affirmé que le juge aurait dû donner plus de précisions sur l'article 15 de la constitution afin d'éclairer la lanterne des praticiens. 

Notons que l'article 15 de la constitution est clair comme de l'eau potable. Il suffit de le lire pour s'en apercevoir « La double nationalité haïtienne et étrangère n'est admise dans aucun cas ». Force est d'admettre que l''on ne voit pas l'intérêt de demander aux juges d'interpréter un texte limpide. 

Il apparaît au titre de la décision commentée que les magistrats ont bien rempli leur office en s'attelant à statuer sur les prétentions juridiques conformément au principe du principe de l'immutabilité du litige.

Toutefois, nous devons rappeler que nonobstant le principe selon lequel le juge est tenu de statuer en fonction des contours du litige dessinés par les parties, rien ne lui interdit de soulever d'office un moyen d'ordre public. Ce qui nous ramène à la question de savoir, si en l'espèce, compte tenu du contexte sociopolitique de la question, le juge n'avait pas l'obligation de soulever d'office le moyen d'ordre public tiré de la double nationalité en renvoyant Siméus devant une cour de renvoi.

Les juges auraient pu soulever d'office le moyen d'ordre public tiré de la double nationalité

Le juge a en principe un rôle actif que lui confère l'inquisitorialité de la procédure. Par suite, il peut relever d'office certains moyens d'ordre public. En l'espèce, le prescrit constitutionnel de l'article 135 prévoit que pour être « élu président de la république d'Haïti, il faut être haïtien d'origine et n'avoir jamais renoncé à sa nationalité » Il n'est pas contestable, eu égard au caractère fondamental de la prescription précitée, que nous sommes en présence d'une règle d'ordre public.

En effet, les hauts magistrats relèvent que les juges du fonds ont rejeté « la demande formulée par le sieur Dumarsais M. Siméus à l'audience du lundi 4 octobre 2005, pour fausse déclaration, ce conformément aux dispositions des articles 86, 123, du décret électoral, 15 et 135 de la Constitution de 1987 sous réserve de l'application des législations pénales haïtiennes.».

En l'espèce, il était possible, nonobstant le manque de base légale de la décision des juges du fonds, de soulever d'office le moyen d'ordre public de la nationalité en prenant la perche tendue par ces derniers. A cet égard, qu'il nous soit permis d'affirmer nonobstant la logique interne de la décision, que ladite décision nous laisse l'impression d'un travail inachevé. Sans doute, la cour a faussement voulu respecter l'obligation de réserve.

Cette première observation nous amène à une question fondamentale : pourquoi la cour de cassation après avoir admis le manque de base légale, pour certains un défaut de motifs, n'a pas tiré les conséquences de sa décision

La cour de cassation n'a pas tiré les conséquences du manque de base légale

Au préalable, deux observations doivent être faites. Tout d'abord, les vices de motivation d'une décision juridictionnelle peuvent être globalement classifiés en deux catégories : le défaut de motifs et le défaut de base légale. Ensuite, il faut noter qu'un défaut de motifs est un vice de forme ne préjugeant en rien le problème de fonds alors que le défaut de base légale est un vice de fonds.

En l'espèce, la cour a relevé qu'« aucune inscription de faux n'ayant été faite contre son attestation de résidence, aucun acte de renonciation de sa nationalité haïtienne n'ayant été produit par le CEP, que les fausses déclarations de même que les déclarations radiophoniques dont fait état de la BCEC sont des motifs erronés ayant de base à son œuvre ». De plus, les hauts magistrats ajoutent de façon laconique « Attendu qu'il est de règle qu'une décision n'est pas motivé »

A la lumière des motifs de l'arrêt soutien nécessaire du dispositif, il apparaît que les hauts magistrats ont cassé la décision du BCEC pour non-conformité aux règles de droit tenant à la motivation de la décision, plus précisément, pour motifs dubitatifs ou hypothétiques. Ce qui revient à dire qu'il y avait bien là un cas d'ouverture à cassation à savoir un manque de base légale et non comme le soutient le réquérant un défaut de motifs lequel est un vice de forme n'affectant pas le problème au fonds. 

D'ailleurs, la preuve de la nationalité du réquérant conditionnait la solution du litige. Or, ce sur ce point, le BCEC n'a émis que des hypothèses ou des doutes, rendant une décision fondée sur des motifs erronés.

En réalité, ce vice de fonds aurait dû mettre les hauts magistrats dans l'impossibilité d'exercer leur contrôle, de sorte que ces derniers n'avaient d'autres choix que de faire usage de la technique de renvoi permettant au juge de renvoi de rechercher les énonciations manquantes, car en l'espèce, la question était d'ordre matériel touchant aux éléments de faits pour ne pas dire de preuves. 

Or, la cour de cassation a décidé de juger l'affaire au fonds en enjoignant au BCEC de statuer à nouveau suivant les motifs de cassation sans lui donner une marge de manœuvre quant au choix de sa décision. En définitive, l'ambiguïté de la décision de la cour de cassation réside dans le fait qu'elle n'a pas tiré les conséquences du manque de base légale de la décision attaquée en usant à bon escient la technique de renvoi. Si elle en avait pris acte, elle aurait demandé au BCEC de rechercher les éléments de fait pouvant confirmer ou infirmer l'allégation relative à la renonciation de Monsieur Siméus à sa nationalité. Mais, en aucun cas, elle pouvait juger de l'affaire au fonds sans procéder à un minimum d'instructions sur les affirmations de Monsieur Siméus.

L'on pourrait arguer que si les hauts magistrats avaient convenablement fait usage de la technique de renvoi, la charge de la preuve aurait été renversée. Or, en vertu d'un des principes directeurs du procès la charge de la preuve pèse sur la partie qui se réclame d'une prétention. 

Cependant, dans notre cas d'espèce, pour éviter le renversement de la charge de la preuve, il aurait suffit que des mesures d'instructions fussent ordonnées en vue de la manifestation de la vérité. 

Du reste, la cour de cassation a opté pour une présomption irréfragable de la nationalité haïtienne du requérant, ce qui explique le surplus du quatrième attendu faisant référence à la loi du 12 avril 2004 prévoyant que « tout haïtien d'origine jouissant d'une autre nationalité et ses descendants sauf dans les cas expressément interdits par la Constitution, sont éligibles à la fonction publique ; que cette loi qui n'a jamais été déclarée inconstitutionnelle, est d'application »

En effet, c'est parce que la cour a présumé que le requérant était haïtien qu'elle n'a pas jugé bon de faire un renvoi permettant aux juges de rejuger l'affaire. Mais à supposer que dans quelques mois, le ministère public rapporte la preuve de la double nationalité de Monsieur Siméus. Je vous laisse purement et simplement deviner la honte qui s'abattra sur la cour de cassation.

C'est pourquoi, cette référence à la loi précitée était surabondante car elle a obscurci la portée de l'arrêt, en ce que la haute juridiction aurait dû se cantonner à la motivation de son arrêt sans entrer dans un débat relatif sur la constitutionnalité de la loi du 12 avril 2OO4. Au surplus, si le problème de droit posé était de savoir si un binational pouvait exercer une fonction élective, il va de soi que la cour de cassation n'aurait pas le choix de viser l'article 15 de la constitution en répondant sans ambages par la négative. 

Or, telle n'était pas le cas, la question à laquelle les hauts magistrats avaient à répondre était de savoir si une juridiction pouvait à bon droit déclarer un candidat inéligible sur la base d'allégations non caractérisées.

En conclusion, si cet arrêt fait couler au tant d'encre, c'est en raison du contexte politique. Il y a plus de peur que de mal. Sur un plan juridique, la portée de l'arrêt est largement limitée, car il s'agit là d'un cas d'espèce et non d'une décision de principe. Ceux qui craignent une violation de la constitution devraient relire l'arrêt, car à aucun moment, la cour de cassation a affirmé qu'il était possible pour les binationaux de candidater à des fonctions électives. Sans doute, l'avenir nous dira si Siméus à berner la cour ou si la cour a bien voulu se faire berner.

K….L. Caisse des dépôts et des consignations 
Consultant juridique Mairie-Conseils.

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